03 décembre 2008
Bouillon à l'osmazôme
Rassurez-vous, la grippe n'a pas réussi à me convertir à la cuisine moléculaire ... Appétit coupé, fièvre qui tapisse la langue de mauvais augures pour tout met autre qu'en infusion, je fus pourtant victime éclairée d'une concordance savoureuse.
Dans la semaine, ma lecture du livre "Physiologie du goût" de Brillat-Savarin m'avait
permis de découvrir la truculence de l'auteur parlant d'osmazôme [ un extrait, en bas de la note ]....
Si la fièvre avait frappé le dimanche soir, le matin même, encore fraîche et exempte de tout mal, j'étais
rentrée chez moi pourvue d'une magnifique carcasse de canard gras [ que voulez-vous, c'est de la région... 1,50 € la carcasse, avec ses aiguillettes].
Et c'est ainsi que j'ai pu, non pas en rêver seulement lors du délire causé par la fièvre acérée dans les moindres recoins de mon squelette, à ce bouillon à l'osmazôme, mais m'en nourrir durant trois jours....
Afin d'extraire de la viande les sucs les plus savoureux, je fis griller sous toutes ses faces la carcasse dodue. Quand cela fut fait je mouillai d'eau froide [ 3 litres ], rajoutai un oignon piqué de girofle [ sans présentir alors combien son pouvoir désinfectant me serait utile ! ], quelques baies de genièvre, gousses d'ail, laurier, thym, sel et poivre. Et mis ma cocotte à sourire, couvercle soigneusement fermé, durant deux heures au moins, écrasant parfois les os pour qu'ils distillent un peu de leur parfum.
Les chairs ont ensuite été soigneusement détachées de la carcasse et laissées dans le bouillon brun et odorant.
Une poignée de vermicelles y aura cuit et m'aura permis de survivre [ bon, d'accord, j'exagère un peu ] trois jours durant [ 3 jours de sommeil, pas d'activité ! ] grâce à ce bouillon délicieux... Pas de photos du résultat [ j'en étais bien incapable...] juste de sa préparation,
Le plus grand service rendu par la chimie à la science
alimentaire est la découverte ou
plutôt la précision de l'osmazôme. l'osmazôme est cette partie éminemment sapide des viandes, qui est soluble à l'eau froide, et
qui se distingue de la partie extractive en ce que cette dernière n' est soluble que dans l'eau
bouillante. C' est l'osmazôme qui fait le
mérite des bons potages ; c' est lui qui, en se caramélisant, forme le roux des viandes ; c' est par lui que se forme le rissolé des rôtis, enfin c' est de lui que sort le fumet de la venaison et du gibier.
L'osmazôme se
retire surtout des animaux adultes à chairs
rouges, noires, et qu' on est convenu d'appeler
chairs faites ; on n' en trouve point ou presque point dans l'agneau, le cochon de lait, le poulet, et même dans le blanc des plus grosses volailles : c' est par cette raison que les vrais
connaisseurs ont toujours préféré l'entre-cuisse ; chez eux l'instinct du goût avait prévenu la science.
C' est aussi la prescience de l'osmazôme qui a fait
chasser tant de cuisiniers, convaincus de distraire
le premier bouillon : c' est elle qui fit la réputation des soupes de primes, qui a fait adopter les croûtes au pot comme
confortatives dans le bain, et qui fit inventer au chanoine Chevrier des marmites fermantes à clef. Enfin c' est
pour ménager cette substance, quoique encore inconnue, que s' est introduite la maxime que, pour faire de bon bouillon, la marmite ne devait que sourire, expression fort distinguée pour le pays d'où elle est venue.
L'osmazôme découvert après avoir fait si longtemps les délices de nos pères,
peut se comparer à l'alcool, qui a grisé bien des générations avant qu' on ait su qu' on pouvait le mettre à nu par la distillation. A
l'osmazôme succède, par le traitement
à l'eau bouillante, ce qu' on entend plus spécialement par matière extractive :
ce dernier produit, réuni à
l'osmazôme, compose le jus de viande.